Si le champ politique russe étonne et fascine, c’est entre autres parce qu’il donne à voir des idéologies exotiques et des mouvements politiques radicaux sans équivalent immédiat en Occident. Dans le sillage de l’histoire sociale des idées politiques, retracer la carrière militante des théories national-bolchevique et néo-eurasiste dans la Russie contemporaine implique de s’intéresser à la genèse des nouveaux clivages au moment de l’effondrement de l’URSS, puis à leur transformation sous la présidence de Boris Eltsine et de Vladimir Poutine.
C’est à la faveur de la crise qui entoure 1991 – dans laquelle se trouve reconfiguré l’ensemble des positions et des discours idéologiques, notamment nationalistes – que des acteurs aussi atypiques que le philosophe autodidacte Alexandre Dugin et l’écrivain sulfureux Édouard Limonov ont pu devenir des figures politiques, promoteurs d’une doctrine patriotique radicale et hétérodoxe.
Le jeu de leurs trajectoires croisées dans un contexte d’allégeances fluctuantes explique alors que ces idées se retrouvent, dans les années 2000, mobilisées par deux groupuscules militants – le Parti national bolchevique (NBP) et l’Union eurasiste de la jeunesse (ESM) – au service de deux objectifs contraires : l’opposition et le soutien au pouvoir en place. On suit ainsi sur cet exemple la façon dont se dessinent, dans l’interaction entre destins individuels et changements historiques, les frontières du possible en politique.