Abraham Lincoln, le républicain abolitionniste, contre Stephen Douglas, le démocrate esclavagiste. Le raccourci semble logique. D’un côté, nous trouvons un mythe américain, le président martyr, qui a émancipé les esclaves durant la guerre civile, qui a consacré la démocratie américaine en tant que gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, qui a laissé sa vie, assassiné dans les jours mêmes qui suivent la n du con it entre le Nord et le Sud. De l’autre, apparaît le leader du parti démocrate, figure emblématique de la faction esclavagiste, auteur en 1854 d’une loi sur les territoires du Kansas et du Nebraska, qui permet de faciliter l’implantation de l’esclavage dans des régions jusque-là protégées.
Le présent ouvrage a pour ambition de donner une autre vision de la pensée et des positions de ces deux acteurs politiques majeurs de la vie américaine. L’étude de deux séries de débats, qui opposent les deux hommes, en 1854 et en 1858, permet de dépasser cette conception anachronique.
De fait, en insistant sur le contexte, sur le contenu des discours et sur l’analyse des rhétoriques, un tout autre portrait se dessine. Le démocrate, Douglas, défend une vision spécifique de la fédération et de la démocratie, en intégrant certes la problématique esclavagiste, mais en lui donnant une place singulière. Le républicain, Lincoln, développe des raisonnements inattendus, rejetant assurément l’esclavage, mais sans prôner l’abolition, allant même jusqu’à défendre l’inégalité raciale et ses conséquences.
A l’issue de cette relecture, c’est un autre monde qui apparaît : celui d’une fédération démocratique américaine en construction, encore à la recherche de son identité juridique et politique.